samedi 25 janvier 2014

Paysages dermiques : l'art traditionnel du tatouage dans le Sud malgache

A Madagascar, un patrimoine a complètement disparu : celui des tatouages traditionnels. L'Ouest et le Sud de la Grande Ile ont bien résisté mais peu à peu l'art malgache du tatouage s'est évanoui. Cependant grâce à un administrateur / scientifique remarquable, Raymond Decary, nous avons droit à un panorama du phénomène tel qu'il se présente un peu avant 1935 (1). A cette époque, il n'y a pas trace de tatouages en Imerina, ce qui ne signifie pas forcément qu'il n'y a jamais rien eu. En pays Betsileo et en pays Betsimisaraka, il n'y a déjà presque plus rien. Par contre dans le Sud, le tatouage s'enrichit de l'écriture romaine qui permet de graver des noms sur la peau de ceux qui le veulent bien. Le tatouage dans cette partie de Madagascar se pratique de manière originale : on pique la peau avec des épines d'oponces (des Cactaceae introduites), puis on frictionne la plaie avec une décoction de poudre de charbon de maïs ajoutée aux sucs de différentes plantes à fort pouvoir tinctorial. Quand la cicatrisation est terminée, apparaît alors un dessin bleuté qui va avoir tendance à s'effacer au fil des ans. Les femmes sont les plus concernées par cet art profane (certaines étaient couvertes sur tout le corps) mais de nombreux hommes s'y prêtent également. Il existe de multiples variations géographiques de motifs, de choix des parties du corps. Le vocabulaire lui-même est riche des termes qui désignent les motifs : figures géométriques, animaux, hommes parfois, figures du sikily, cet art de la divination venu du Nord. A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, le tatouage n'est plus à la mode : les églises catholique et protestante ne doivent pas témoigner davantage d'enthousiasme que l'administration. Pire, être tatoué fait "paysan" (ou "paysanne") suggère Decary, qui n'a aucune tendresse pour les gens du Sud qu'il décrit comme des rustres sans peur de se contredire. Cependant, grâce à lui, il y aura certainement un jour un renouveau du tatouage traditionnel malgache.

(1) Decary, Raymond, 1935.- Les tatouages chez les indigènes de Madagascar. Journal de la Société des Africanistes, 5-1 : pp. 1-39

Article d'abord sorti sur Paesaggio, paysages le  13 février 2013


6 commentaires:

  1. Merci pour cet article que j'attendais depuis longtemps. Effectivement, j'ai lu de rares témoignages sur cet art à Madagascar et je suis resté sur ma faim.
    Deux ans en Polynésie française m'a fait comprendre que l'interdit (et la dévalorisation) de certaine pratique culturelle n'a pas empêché ce renouveau que vous évoquiez en fin d'article.
    Veloma

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    1. Oui, l'exemple de l'Océanie montre que les interdictions n'ont qu'un temps.

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    1. A notre époque, voir ses fautes de frappe, c'est déjà être excusé !

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  3. Voici une exposition à ne pas manquer pour les amateurs de tatouages :

    http://www.quaibranly.fr/fr/programmation/expositions/prochainement/tatoueurs-tatoues.html

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    1. Une adresse sérieuse. Mais il vaut mieux habiter Paris ou pas trop loin.

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