jeudi 3 octobre 2013

Madagascar : du vieux mythe des mpakafo à celui des trafiquants d'organes


Le terme malgache de mpakafo s'applique aux « mangeurs de cœur ». Il se décline en mangeurs de divers autres organes comme mpaka-aty (mangeur de foie). La croyance en la rumeur qu'il existe des personnes en quête de cœurs de jeunes enfants est partie, semble-t-il, des hautes terres au XIXe siècle, peut-être même depuis plus longtemps, et s’est imposée peu à peu dans une grande partie du pays (Grand Sud, Nord-Ouest). Signe de modernité (?) : les cannibales se sont transformés en trafiquants d'organes. Mais n'est pas trafiquant d'organes qui veut : contrairement à ce que croient la plupart des Malgaches pauvres, le congélateur n'est pas l'outil indiqué pour stocker des pièces d'anatomie humaine destinées à resservir plus tard en chirurgie.
Il n'y a pas encore lieu de se prononcer sur ce qui est arrivé hier à Nosy Be (1) mais il est probable qu'il s'agisse de l'assassinat d'innocents, commis par une foule d'irresponsables avides de vengeance, commandités par des personnes désireuses de régler des comptes. Les victimes sont les personnes contre qui ces criminels lancent les rumeurs. L'accusation de mpakafo ou, aujourd'hui, de trafiquant d'organes n'est en effet agitée que lorsque l'on veut nuire gravement à une personne. Elle vise aussi bien des Malgaches en principe "étrangers" à la communauté, ce qui ne semble pas le cas ici, que des étrangers. Elle est malheureusement assez commune et fonctionne généralement bien, tant la crédulité de la population rurale et citadine pauvre est grande. 
Il y a quelques années, un restaurateur et hôtelier français bien connu, vivant à Tuléar, a été accusé de trafic d'organes d'enfants. Détail important : aucun enfant n'avait disparu. Rien n'y fit : le restaurateur fut obligé de conduire à la radio une campagne d'explications, sous la protection des autorités locales. Pour d'autres, il n'y a pas eu d'autres issues que la fuite ou la mort.

(1) Il s'agit du lynchage à Nosy Be de deux Européens et d'un Malgache accusés de trafic d'organes à la suite du décès d'un jeune musulman - ce qui semble renvoyer à la communauté des immigrés comoriens ou à celle des descendants de ces "Souahili" venus des côtes d'Afrique que décrit Alfred Grandidier en 1868. Une enquête sérieuse confirme que les personnes visées par la rumeur et assassinées par la foule étaient innocentes : "A Madagascar, la folle rumeur qui a mené trois hommes sur le bûcher" de Soren Seelow et S. Hervieu (Le Monde du 12/11/2013).

La plage d'Ambatoloaka à Nosy Be où a eu lieu le crime

2 commentaires:

  1. Ignorance et pauvreté... peuvent aboutir au drame !

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  2. C'est bien ce qui semble s'être passé. la manipulation politique est possible alors que les présidentielles sont proches. Bonne semaine.

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