dimanche 18 janvier 2015

Jean Paulhan et "Le repas et l'amour chez les Merinas"

Jean Paulhan est un écrivain français assez éclectique qui vécut de 1884 à 1968. Combattant blessé de la Guerre de 14-18, résistant, éditeur, académicien, c'est un intellectuel plutôt attachant, auteur de nombreux ouvrages et articles.
Après avoir étudié les lettres et les sciences humaines, à 23 ans, en 1907, il part pour Madagascar comme enseignant.  On entre alors dans la seconde décennie de la colonisation française mais l'influence étrangère, notamment par le biais des missionnaires anglo-saxons et scandinaves, est déjà ancienne.  Il y reste trois ans, enseignant le français et le latin au jeune lycée de Tananarive. Il apprend aussi la langue malgache et recueille des dictons aux formes poétiques particulières (les hainteny) qu'il publie en 1913 sous le titre "Les Hain-tenys merinas". 
Ce n'est que juste après sa mort, en 1970, qu'est publié l'ouvrage "Le repas et l'amour chez les Merinas" aux éditions Fata Morgana. Il y compare les attitudes qu'ont les habitants de la capitale de la Grande Ile face à la nourriture et à la sexualité. Le repas, chargé de symboliques et de sentiments, fait partie du plus intime et du plus mystérieux, qu'on ne dévoile pas à une personne étrangère : "Chaque mets est le symbole d'un désir, d'une impression, d'une de toutes les choses que l'on rencontre pendant la vie." (p.26) "La vie n'est qu'un grand repas, un repas idéal où l'on imagine sans cesse qu'on goûte à de nouvelles choses" (p. 29). La sexualité, quant à elle, n'a rien de mystérieux. C'est un besoin corporel qu'il faut respecter. "Les actes de l'amour sont tellement naturels et simples qu'il n'y a pas à se cacher pour en parler." (p. 51) "Un étranger peut fort bien coucher dans la chambre où sont le mari et la femme. Il ne les gêne nullement. Mais la famille, surprise quand elle prenait son repas, restera longtemps honteuse." (p. 37) C'est l'idée jubilatoire d'un monde à l'envers que développe l'auteur sans qu'on soit sûr que toutes ses interprétations soient exactes !
Ce livre est  poétique, écrit avec tendresse, mais curieusement illustré. On peut en tirer les leçons qui s'imposent concernant la relativité de nos propres comportements. Certes, il ne pouvait que déplaire aux gardiens de la morale, à commencer par les fonctionnaires français et les missionnaires qui ont occidentalisé les hautes terres (mais n'ont pas réussi à faire de même ailleurs). C'est pourquoi son auteur n'a sans doute pas voulu le publier de son vivant. Aujourd'hui pourtant le livre est surtout la cible de certains intellectuels merina accusant son auteur de prolonger le mythe du "bon sauvage".  Ils n'ont pas complètement tort mais en même temps le propos de Paulhan (mettre en évidence la relativité de la morale ainsi que l'originalité et la force de la pensée malgache) est déformé.

2 commentaires:

  1. Replonger dans l'histoire à travers un écrivain permet de voir les choses différemment...
    Voici deux liens pour ceux qui veulent en savoir plus :

    http://ethiopiques.refer.sn/article.php3?id_article=923

    http://www.sielec.net/pages_site/DESTINATIONS/AFRIQUE/Ranaivoson_Paulhan_Renel.htm

    et aussi écouter les interview de J. Paulhan :

    https://www.youtube.com/watch?v=8StdMNqd-cQ

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  2. Toute ma gratitude pour ces trois intéressantes références. La première est passionnante tout en restant claire ce qui n'est pas si facile. La seconde ressemble à un règlement de comptes (à OK Corral) : l'artillerie lourde contre Paulhan. Les entretiens avec Robert Mallet quant à eux sont fantastiques pour la connaissance de ce personnage hors-norme qu'était Jean Paulhan.

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